
Le refus de soins par un patient place les médecins dans une situation délicate, où ils doivent concilier le respect de l’autonomie du patient avec leur devoir de protection de la santé. Cette problématique soulève des questions juridiques et éthiques complexes, encadrées par un corpus législatif et déontologique strict. Les praticiens doivent naviguer entre leurs obligations professionnelles, le consentement éclairé du patient, et les situations d’urgence vitale. Examinons les devoirs et responsabilités des médecins confrontés à un refus de soins, ainsi que les procédures à suivre pour garantir à la fois les droits du patient et la sécurité médicale.
Le cadre légal et déontologique du refus de soins
Le droit au refus de soins est un principe fondamental consacré par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades. Ce droit découle du respect de l’autonomie du patient et de son intégrité corporelle. L’article L. 1111-4 du Code de la santé publique stipule clairement que « toute personne prend, avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit, les décisions concernant sa santé ».
Le Code de déontologie médicale, intégré au Code de la santé publique, précise les obligations des médecins face à un refus de soins. L’article R. 4127-36 énonce que « le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas » et que « lorsque le malade, en état d’exprimer sa volonté, refuse les investigations ou le traitement proposés, le médecin doit respecter ce refus après avoir informé le malade de ses conséquences ».
Néanmoins, ce droit au refus n’est pas absolu. Dans certaines situations, notamment en cas d’urgence vitale ou lorsque le patient n’est pas en mesure d’exprimer sa volonté, le médecin peut être amené à prodiguer des soins sans le consentement du patient. Cette exception est prévue par l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique qui précise que « le médecin doit respecter la volonté de la personne après l’avoir informée des conséquences de ses choix. Si la volonté de la personne de refuser ou d’interrompre tout traitement met sa vie en danger, le médecin doit tout mettre en œuvre pour la convaincre d’accepter les soins indispensables ».
Le cadre légal impose donc aux médecins une obligation d’information et de respect de la volonté du patient, tout en leur laissant une marge de manœuvre en cas de risque vital immédiat. Cette dualité souligne la complexité de la position du praticien, qui doit constamment évaluer la situation et prendre des décisions éthiques délicates.
L’obligation d’information et le consentement éclairé
L’une des principales obligations du médecin face à un refus de soins est de s’assurer que le patient dispose de toutes les informations nécessaires pour prendre une décision éclairée. Cette obligation d’information est inscrite dans la loi et constitue un pilier de la relation médecin-patient.
Le consentement éclairé implique que le patient ait reçu une information claire, loyale et appropriée sur :
- Son état de santé
- Les différentes options thérapeutiques disponibles
- Les bénéfices attendus des traitements proposés
- Les risques potentiels liés à ces traitements
- Les conséquences prévisibles en cas de refus de soins
Le médecin doit adapter son discours au niveau de compréhension du patient, en utilisant un langage accessible et en s’assurant que l’information a été correctement assimilée. Il est recommandé de documenter cette transmission d’information dans le dossier médical du patient.
En cas de refus de soins, le praticien a l’obligation de réitérer ses explications et de tenter de convaincre le patient d’accepter les soins jugés nécessaires, particulièrement si le refus met en jeu le pronostic vital. Cette démarche doit être menée avec tact et sans pression excessive, dans le respect de l’autonomie du patient.
Si le refus persiste malgré ces explications, le médecin doit s’assurer que le patient a bien compris les conséquences de sa décision. Il est conseillé de faire signer au patient un document attestant de son refus éclairé, bien que ce ne soit pas une obligation légale. Ce document peut s’avérer utile en cas de litige ultérieur.
L’obligation d’information s’étend également à l’entourage du patient, avec son accord, surtout si le refus de soins peut avoir des répercussions sur les proches ou la santé publique (comme dans le cas de maladies infectieuses).
La gestion des situations d’urgence et de péril vital
Les situations d’urgence ou de péril vital immédiat constituent des cas particuliers dans la gestion du refus de soins. Elles placent le médecin face à un dilemme éthique : respecter la volonté du patient ou agir pour préserver sa vie.
L’article R. 4127-37 du Code de la santé publique stipule qu' »en toutes circonstances, le médecin doit s’efforcer de soulager les souffrances du malade par des moyens appropriés à son état et l’assister moralement. Il doit s’abstenir de toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique et peut renoncer à entreprendre ou poursuivre des traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou qui n’ont d’autre objet ou effet que le maintien artificiel de la vie ».
Dans une situation d’urgence vitale, si le patient est conscient et refuse les soins après avoir été dûment informé des conséquences, le médecin doit en principe respecter ce refus. Toutefois, la jurisprudence a reconnu que dans certains cas exceptionnels, le médecin pouvait passer outre ce refus pour sauver la vie du patient.
Les critères pris en compte par les tribunaux pour justifier une intervention sans consentement sont :
- L’imminence du danger pour la vie du patient
- L’absence d’alternative thérapeutique
- La proportionnalité de l’acte médical par rapport au risque encouru
- L’intention du médecin de sauver la vie du patient, et non de violer sa volonté
Dans le cas où le patient est inconscient et que son pronostic vital est engagé, le médecin doit agir dans l’intérêt du patient en prodiguant les soins nécessaires. Il doit cependant rechercher si le patient a exprimé des directives anticipées ou désigné une personne de confiance qui pourrait témoigner de ses volontés.
La loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016 a renforcé le poids des directives anticipées, qui s’imposent désormais au médecin, sauf en cas d’urgence vitale pendant le temps nécessaire à une évaluation complète de la situation.
En cas de doute sur la conduite à tenir, le médecin peut faire appel à un confrère pour une décision collégiale, ou solliciter l’avis du comité d’éthique de l’établissement. Il est primordial de documenter précisément toutes les démarches entreprises et les raisons des décisions prises dans le dossier médical du patient.
Les procédures spécifiques pour les patients vulnérables
La gestion du refus de soins se complexifie lorsqu’il s’agit de patients considérés comme vulnérables, tels que les mineurs, les majeurs protégés, ou les personnes présentant des troubles psychiatriques. Dans ces situations, des procédures spécifiques doivent être suivies pour garantir à la fois le respect des droits du patient et sa protection.
Refus de soins chez les mineurs
Pour les patients mineurs, l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique prévoit que le consentement aux soins doit être donné par les titulaires de l’autorité parentale. Cependant, le mineur a le droit d’être consulté et son avis doit être pris en compte en fonction de son âge et de sa maturité.
En cas de refus de soins par les parents mettant en danger la santé du mineur, le médecin peut saisir le procureur de la République pour obtenir une autorisation judiciaire de prodiguer les soins nécessaires. Dans les situations d’urgence vitale, le médecin peut intervenir sans attendre cette autorisation si les soins sont indispensables à la survie de l’enfant.
Refus de soins chez les majeurs protégés
Pour les majeurs sous tutelle, le consentement du tuteur est en principe requis. Toutefois, l’article L. 1111-4 du Code de la santé publique précise que « la personne sous tutelle doit consentir elle-même aux soins. Le refus du tuteur ne fait pas obstacle à un acte médical indispensable à la sauvegarde de la santé de la personne protégée ».
Pour les autres régimes de protection (curatelle, sauvegarde de justice), le majeur protégé prend en principe seul les décisions relatives à sa santé, sauf si le juge en a décidé autrement.
Refus de soins en psychiatrie
Dans le cadre des soins psychiatriques sans consentement, régis par les articles L. 3211-1 et suivants du Code de la santé publique, le refus de soins peut être passé outre dans certaines conditions strictement encadrées par la loi. Ces situations concernent notamment les hospitalisations à la demande d’un tiers ou sur décision du représentant de l’État.
Le médecin doit néanmoins s’efforcer d’obtenir le consentement du patient à chaque étape du traitement, et le respect des droits fondamentaux de la personne doit être garanti tout au long de la prise en charge.
Dans tous ces cas particuliers, une attention accrue doit être portée à la traçabilité des décisions et des actes médicaux dans le dossier du patient. La collégialité des décisions et la consultation de l’entourage du patient, lorsque cela est possible, sont fortement recommandées pour garantir une prise en charge éthique et respectueuse des droits du patient.
Les responsabilités juridiques et les conséquences pour le médecin
Face à un refus de soins, le médecin engage sa responsabilité professionnelle et parfois personnelle. Il est donc primordial qu’il connaisse les implications juridiques de ses décisions et actions.
Responsabilité civile
Sur le plan civil, le médecin qui respecte le refus de soins d’un patient dûment informé ne peut en principe voir sa responsabilité engagée. La Cour de cassation a confirmé ce principe dans plusieurs arrêts, considérant que le médecin qui s’abstient d’intervenir face à un refus clair et éclairé ne commet pas de faute.
En revanche, le médecin pourrait voir sa responsabilité engagée s’il n’a pas correctement informé le patient des conséquences de son refus, ou s’il n’a pas tout mis en œuvre pour le convaincre d’accepter les soins nécessaires.
Responsabilité pénale
Sur le plan pénal, le respect du refus de soins ne peut en principe pas être qualifié de non-assistance à personne en danger (article 223-6 du Code pénal). Toutefois, dans des situations extrêmes où le pronostic vital est engagé à très court terme, la jurisprudence a parfois reconnu la possibilité pour le médecin d’intervenir malgré le refus, sans encourir de sanctions pénales.
Responsabilité disciplinaire
Le Conseil de l’Ordre des médecins peut être amené à examiner la conduite d’un praticien face à un refus de soins. Le respect des règles déontologiques, notamment en matière d’information du patient et de respect de sa volonté, est scruté avec attention.
Conséquences pratiques
Pour se prémunir contre d’éventuelles poursuites, le médecin doit :
- Documenter précisément dans le dossier médical toutes les informations fournies au patient
- Consigner les échanges avec le patient concernant son refus de soins
- Faire signer au patient, si possible, un document attestant de son refus éclairé
- Consulter des confrères en cas de doute sur la conduite à tenir
- Informer la famille du patient, avec son accord, de la situation
En cas de litige, ces éléments seront cruciaux pour démontrer que le médecin a agi conformément à ses obligations légales et éthiques.
Vers une approche éthique et humaine du refus de soins
Au-delà des aspects juridiques, la gestion du refus de soins soulève des questions éthiques profondes qui interrogent la pratique médicale dans son essence même. Les médecins sont appelés à développer une approche qui concilie le respect de l’autonomie du patient avec leur devoir de protection de la santé.
Cette approche éthique implique de :
- Prendre le temps d’écouter les raisons du refus du patient
- Explorer les peurs, les croyances ou les expériences passées qui peuvent motiver ce refus
- Proposer des alternatives thérapeutiques lorsque c’est possible
- Impliquer l’entourage du patient dans la discussion, avec son accord
- Assurer un suivi et un accompagnement, même en cas de refus persistant
La formation des médecins à la gestion du refus de soins devrait être renforcée, en mettant l’accent sur les compétences en communication et en éthique médicale. Des groupes de réflexion éthique au sein des établissements de santé peuvent aider les praticiens à naviguer dans ces situations complexes.
L’évolution de la médecine vers une approche plus centrée sur le patient, où celui-ci est considéré comme un partenaire actif dans les décisions de santé, pourrait contribuer à réduire les situations de refus de soins. Cette vision collaborative de la relation médecin-patient favorise le dialogue et la compréhension mutuelle, permettant souvent de trouver des solutions acceptables pour tous.
En fin de compte, la gestion du refus de soins reste un exercice d’équilibriste pour les médecins, qui doivent constamment peser les principes éthiques, les obligations légales et les réalités cliniques. C’est dans cette capacité à naviguer entre ces différentes dimensions que réside l’art de la médecine, alliant expertise technique et humanité.